Andreina Flores

Lettre à Marina Ovsyannikova

Chère Marina,

Tu pourrais penser que j’exagère, mais il est très clair pour moi que ta pancarte vaut plus que cent missiles. Ton cri au milieu du journal, aux vues de millions de Russes, vaut plus que quatre cents déclarations de l’Union Européenne et cinquante appels de Macron.

De loin, depuis mon ennuyeuse tranchée française, je vois ton geste si beau : Poutine vire les grandes chaînes comme la BBC, Voice of  America, Deutsch Welle… mais il ne te voit pas venir, Marina, petite et locale. Un visage trop normal, inoffensif, qui jusqu’à aujourd’hui se déplaçait docilement dans les entrailles mêmes de la première chaîne de télévision russe… et soudain, il heurte le mur et se dresse devant la caméra pour crier d’arrêter la guerre, en direct. En live.

Bravo, ma belle.

Poutine a supprimé des géants comme Facebook et Instagram mais n’a pas pu t’empêcher, Marina, devant la plus grande audience au monde, d’afficher ta bannière sur «Vremia», l’émission la plus regardée en Russie; de faire brûler les yeux du Kremlin et envoyer un message aux tiens : «Non à la guerre. Ne croyez pas la propagande. Ils vous mentent ici. Les Russes sont contre la guerre.»

L’organisme de censure russe a décidé d’effacer les termes «guerre» ou «invasion» d’un trait de plume, mais tu fais le contraire, tu les mets en lumière. Tu les diffuses au monde entier depuis le cœur d’un média officiel. Ce ne sont que quelques secondes de rébellion, mais – mon Dieu ! – que ça fait du bien de te voir tirer la langue au régime, même si tu y risques ta vie.

Tu n’es pas un espion de la CIA, Marina, ni un agent d’infiltration de l’OTAN. Tu es une femme de père ukrainien et de mère russe, qui sait bien que cette guerre est une grosse merde.

Cependant, chère collègue, je suis certaine – et extrêmement effrayée – que le dictateur qui siège sur le trône de ton pays ne pardonnera pas ton humiliation. Ta simple pancarte attirera certainement des représailles. Cela donnera de l’urticaire à ceux qui pensent avoir le poing fermé sur tout le monde.

En vertu de la loi, tu pourrais être accusée de «discréditer l’utilisation des forces armées russes», un délit grave et absurde passible de 15 ans de prison.

Je ne veux même pas penser à ce qu’a déjà subi ton compatriote Alexei Navalny – empoisonné et emprisonné par le gouvernement russe – ni évoquer la possibilité que quelqu’un touche un seul de tes cheveux.

Ton défi est désormais immense: utiliser cet élan pour continuer à crier des vérités et, en même temps, essayer de te protéger.

Ce n’est pas moi qui te demanderais de disparaître de la scène où tu as planté ton drapeau, mais je te demanderais de te réfugier dans la prudence, de te mettre à l’abri, loin de ceux qui veulent ta peau,  jusqu’à ce que l’ouragan se calme et soit réduit en poussière.

Demeure en sécurité, Marina, il reste encore de nombreuses batailles à mener. Tu as ma solidarité et mes respects.

Ta collègue qui t’applaudit à la folie,

Andreina Flores

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